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La plupart des locuteurs auraient tendance à considérer le deuxième exemple comme une phrase, mais non pas le premier. C'est que la notion de phrase implique un niveau minimal de structure. Les éléments sont reliés de façon régulière. Cette régularité se manifeste à deux niveaux: la forme et le sens.
Du point de vue formel, on constate que, contrairement à l'exemple (1) l'exemple (2) comprend un ordre (on dit cette petite fille mais non pas petite cette fille), et une série de dépendances (le choix d'un nom féminin implique le choix d'un adjectif féminin, qui se termine par -e, et le choix d'un nom singulier implique le choix d'un verbe singulier).
Du point de vue sémantique, on remarque que la phrase se caractérise par le fait de porter un contenu qui représente en quelque sorte la composition de ses composantes. Ainsi, cette petite fille permet d'indiquer l'existence d'une fille en particulier ( cette), le fait que cette fille n'est pas grande ( petite) et le fait qu'il s'agit d'une fille.
Ces deux niveaux de structure supposent une connaissance de la langue. Si on ne parle pas français, on ne peut pas savoir que (2) est une phrase mais que (1) n'en est pas une. Les suites de mots que nous entendons et que nous lisons à tous les jours sont classées comme des phrases ou non selon ces connaissances.
Dans ce qui suit, nous ferons une distinction entre phrase, une entité abstraite qui suppose la connaissance de la langue, et énoncé, une production physique séparée par deux périodes de silence (dans la langue parlée) ou par des blancs (dans la langue écrite). Les énoncés existent au niveau de la parole, mais les phrases sont des entités de la langue.
Entre autres choses, on se sert de l'intuition et de l'élicitation pour vérifier l'acceptabilité. Ainsi, la plupart des locuteurs francophones seraient d'accord pour trouver acceptable le premier énoncé suivant et pour rejeter le deuxième. (Notez l'emploi de l'astérisque pour montrer un énoncé inacceptable.)
Là où on a des doutes sur l'acceptabilité d'un énoncé, on peut mettre un point d'interrogation plutôt qu'un astérisque.
Expérience: Selon certains linguistes, il est impossible de trouver une phrase asémantique. Dans tous les cas, il est possible d'imaginer au moins une situation dans laquelle on pourrait formuler une phrase de la sorte. Essayez de vérifier ou d'infirmer ce point de vue en vous servant de la phrase célèbre de Chomsky: Des idées vertes sans couleur dorment furieusement (en anglais: Colourless green ideas sleep furiously). Cliquez ici pour voir une solution qu'on a déjà proposée. |
L'une des premiers à étudier la syntaxe de la langue parlée française a été la linguiste, Claire Blanche-Benveniste. Avec son équipe de recherche, elle a pu identifier un grand nombre de structures et de phénomènes qui se manifestent à l'oral. Voyons-en quelques exemples, tirés de Blanche-Benveniste (1990).
et je lui apprenais | à lire |
à écrire | |
elle doit rigoler | en haut |
au paradis là |
Notez sa façon de disposer les exemples sur la page. Puisque la langue parlée fonctionne sur l'axe syntagmatique (dans le temps), corriger ce qu'on vient de dire ou ajouter un détail peut se faire seulement en continuant de parler, mais en supposant que l'interlocuteur sera en mesure de voir que deux éléments occupent en quelque sorte la même place dans la chaîne. Dans les travaux de Blanche-Benveniste, les formes qui occupent la même place sont disposées dans une même colonne.
Si on examine ces exemples, on note que dans le premier cas le locuteur a fait un ajout ( à lire + à écrire) tandis que dans le deuxième, le locuteur a opéré une précision. D'autres opérations relevées par Blanche-Benveniste comprennent la correction:
la mer se reflétait | au fla |
au plafond |
l'intercalation:
mais | elle est | |
à la maison | elle est très calme |
et la substitution
je revois toujours | le | ||
ce | |||
ce | petit lit | ||
ce | joli | petit lit rose |
Assez souvent, dans la langue parlée, on marque explicitement de telles opérations au moyen d'expressions comme pas ou je sais pas moi, comme l'illustre l'exemple suivant:
bon ici on met | un | caniveau | ||
pas | un | caniveau | ||
un | tuy- | |||
une | buse | en bas |
Finalement, la langue parlée fait souvent appel aux phénomènes de répétition, soit de mots (premier exemple ci-dessous), soit de structures (deuxième exemple ci-dessous).
des clous de girofles | ||
il y en a toujours eu | des clous de girofles | |
sur les oignons | ||
alors | si je leur dis non | ils commencent à pleurer |
si je leur dis oui | ils commencent à s'amuser |
Expérience: Écoutez une conversation et relevez des exemples de précision, de correction, etc. |
Expérience: Faites une phrase potentiellement infinie au moyen de la répétition, la coordination ou l'enchâssement. |
Exercice: Pour chacun des exemples suivants, déterminez les contraintes imposées par le verbe: j'ai versé du thé dans sa tasse; elle se tourne vers le bruit. |
Mais à côté des mots, chaque langue possède un certain nombre d'opérations syntaxiques possibles. Voyons les exemples suivants.
Expérience: Faites les mêmes opérations en remplaçant la phrase (1) par une autre ayant la même structure mais des mots différents. |
Le but de la syntaxe consiste donc à étudier le fonctionnement conjoint des mots et des opérations dans les phrases d'une langue.
On voit qu'il y a dans ce groupe un ordre particulier des éléments en (1) et que d'autres ordres sont impossibles (exemples (2), (3)). Mais il y a plus. Si on examine cette phrase, on constate que assez modifie pesant, que assez pesant modifie livre et que un détermine le groupe entier livre assez pesant. On peut représenter ces relations au moyen d'un arbre. Cet arbre comprend des branches reliant des noeuds. En outre, chaque noeud sauf le premier est relié à un noeud supérieur (sa mère), et chaque noeud sauf les derniers est relié à des noeuds inférieurs (ses filles). On peut voir dans l'arbre le produit de l'application en série d'une liste de règles, chacune produisant une relation entre une mère et sa ou ses filles, comme l'illustre l'exemple suivant:
SN / \ / \ / \ DET GN | / \ | / \ | / \ | N SADJ | | / \ | | / \ | | / \ | | ADV ADJ | | | | un livre assez pesantNotez que le noeud en haut de l'arbre porte l'étiquette SN, forme abrégée de syntagme nominal, tandis que les noeuds inférieurs portent les étiquettes GN, SADJ, DET, N ADV ADJ. L'étiquette GN signifie groupe nominal, l'étiquette SADJ signifie syntagme adjectival, tandis que les autres étiquettes sont des éléments terminaux, des mots uniques, au dernier niveau de l'arbre.
Exercice: Trouvez des critères pour justifier le rôle de tête qu'on attribue au nom dans le SN, au verbe dans le SV, à l'adjectif dans le SADJ et à la préposition dans le SP. |
SN --> DET N SADJOn voit que cette règle de réécriture définit non seulement la présence des éléments mais aussi leur ordre. Une autre règle permettrait d'obtenir le SADJ:
SADJ --> ADV ADJEnsemble, les deux règles définissent une petite partie de la grammaire du français.
Nous avons déjà vu (chap. 3) qu'il existe des critères formels qui nous permettent d'identifier les différentes parties du discours. Dans ce qui suit, nous utiliserons ces critères assez souvent. Rappelons pour mémoire les principaux élément terminaux que nous utiliserons et les formes abrégées utilisées pour les désigner.
P / \ / \ / \ SN SV | / \ | / \ | / \ | V SN | | | le chat noir attrape une souris griseEt on peut générer cet arbre au moyen des règles de réécriture suivantes:
P --> SN SV SV --> V SN
SN --> DET N ADJ ADJ SN --> DET ADJ N ADJ SADJ --> ADJ SADJLe troisième exemple est particulièrement intéressant, puisqu'il donne la possibilité de produire une suite infinie d'adjectifs. Chaque fois que la règle est appelée, elle ajoute un adjectif suivi d'un autre appel au SADJ, qui ajoute un autre adjectif, suivi d'un autre appel... On voit donc qu'une règle de la sorte pourrait générer un exemple comme je suis fatigué, fatigué, fatigué... que nous avons vu au début du chapitre. Là où un élément s'appelle ainsi, on parle de récursion.
SN --> DET N le chat SN --> DET N ADJ le chat noir SN --> DET ADJ N le petit chat SN --> DET ADJ N ADJ le petit chat noir SN --> NPROPRE Minou SN --> PRON ilet bien d'autres encore. Or, plutôt que d'écrire la partie gauche (SN) chaque fois, on utilise souvent d'autres formalismes. Par exemple, on met parfois des accolades autour d'une liste pour indiquer qu'il faut choisir un élément et un seul dans la liste. Ainsi, on pourrait remplacer les exemples précédents par:
SN --> { DET N } { DET N ADJ } { DET ADJ N } { DET ADJ N ADJ } { NPROPRE } { PRON }Une variante de ce formalisme consiste à mettre des traits verticaux pour indiquer des choix:
SN --> (DET N | DET N ADJ | DET ADJ N | DET ADJ N ADJ | NPROPRE | PRON)Pour marquer le fait qu'un élément peut être présent ou absent, on le met entre parenthèses. Ainsi, dans l'exemple précédent, on voit que l'adjectif est facultatif avant et après le nom. On peut représenter cela ainsi:
SN --> { DET (ADJ) N (ADJ) } { NPROPRE } { PRON }ou bien ainsi:
SN --> ( DET (ADJ | ) N ( ADJ | ) | NPROPRE | PRON )
Exercice: Faites les règles de réécriture susceptibles de générer chacun des exemples suivants: un très beau livre, un livre moins cher que les autres. |
On se rend compte que les exemples (1) et (2) sont acceptables, mais que l'exemple (3) est inacceptable. Pourtant, tous les trois seraient le produit de la règle
SN --> DET ADJ N ADJIl manque dans cette règle la capacité d'indiquer l'accord entre les éléments. Assez souvent en syntaxe, on marque l'accord au moyen d'attributs associés aux noeud de l'arbre, comme l'indique l'exemple suivant:
SN | -------------------------------------------- | | | | DET[masc,sing] ADJ[masc,sing] N[masc,sing] ADJ[masc,sing] | | | | le petit chien noir
Prenons la notion de sujet. Du point de vue formel, on dit que le chat est le sujet de la phrase parce qu'il précède le verbe et parce que le verbe s'accorde avec lui. Du point de vue sémantique, on dit que c'est le sujet parce que cela désigne celui qui fait l'action.
Il en va de même pour la notion d'objet direct. Formellement, on remarque que cela suit le verbe, et que le verbe ne s'accorde pas avec lui. Sémantiquement, on voit que cela désigne la personne ou la chose qui subit l'action.
Finalement, l'objet indirect se caractérise par le fait de comporter une préposition à, et par le fait de désigner la personne ou la chose qui reçoit quelque chose.
Dans les phrases simples, une analyse fonctionnelle de la sorte ne soulève pas de problèmes. Mais il est facile de trouver des cas où les choses se compliquent.
Dans l'exemple (1), le verbe s'accorde avec le chat, et c'est le chat qui fait l'action. Mais en (2), même si c'est toujours le chat qui fait l'action, le verbe s'accorde avec la souris (notez le -e), et c'est maintenant la souris qui précède le verbe. Il y a maintenant contradition entre les critères formel et sémantique.
On peut résoudre ce problème en proposant une distinction entre l'analyse thématique, qui capte les relations sémantiques, mais non pas la structure formelle, et l'analyse structurelle, qui s'occupe de la forme de la phrase et des questions d'accord, sans s'occuper directement des relations sémantiques. On peut voir dans l'analyse fonctionnelle le produit de l'interaction des deux autres types d'analyse.
Nous avons déjà identifié un certain nombre d'arguments possibles. Ainsi, il y a l'argument qui spécifie la personne ou la chose qui fait l'action. Dans l'analyse thématique, cela s'appelle l'agent. Il y a aussi l'argument qui spécifie la personne ou la chose influencée directement par l'agent: on l'appelle le thème. Finalement, il y a l'argument qui spécifie la personne ou la chose qui reçoit quelque chose de l'agent. On l'appelle le bénéfacteur. Ainsi, dans la phrase Le chat présente la souris à son maître, on a le chat (agent), la souris (thème) et son maître (bénéfacteur).
Par contre, dans la phrase Le chat poursuit la souris et dans la phrase La souris est poursuivie par le chat, le chat a toujours le rôle d'agent, et la souris a toujours le rôle de thème.
Exercice: Dans chacun des exemples suivants, identifiez l'agent,
le thème et le bénéfacteur:
|
Par syntagme prépositionnel (SP), nous entendons une préposition suivie d'un syntagme nominal, comme sur la table, avec sa soeur, avant trois heures}.
Il existe aussi des SP de circonstance pour l'espace, comme l'illustre l'exemple suivant.
Exercice: Appliquez les critères identifiés ci-dessus (déplacement, etc.), pour montrer que les SP de circonstance (espace) ont le même fonctionnement que les SP de circonstance (temps). |
Les quatre critères nous permettent de constater que les SP de circonstance ont une relation assez lâche avec la phrase. Par contre, d'autres SP ont une relation plus étroite.
Il s'agit d'un SP d'instrument. Comme le montre l'exemple 2, le SP d'instrument peut se déplacer comme le SP de circonstance. Il peut aussi disparaître ( Elle a cassé la fenêtre). Par contre, le SP d'instrument n'accepte pas la répétition:
Exercice: Utilisez les critères appropriés pour identifier la fonction thématique de chacun des SP dans les exemples suivants: elle replace le manuscrit dans le casier; elle part à la course; elle lance le ballon à son frère; elle lance le ballon vers son frère. |
En même temps, il ne faut pas oublier que la quantité de productions linguistiques dont on a besoin varie selon la situation. Si on vit avec d'autres personnes, on possède une importante quantité d'informations partagées. Prenons le cas d'une famille qui possède un chat. Dans ce contexte, une phrase comme Le chat veut sortir se comprend facilement. On sait de quel chat il s'agit. Mais la même phrase serait difficile à comprendre si elle était produite à l'intention d'un visiteur dans la maison.
En général, le syntagme nominal (le SN) nous fournit un mécanisme pour désigner un aspect de la réalité. Nous possédons plusieurs sortes de SN pour le faire. D'un côté, nous pouvons utiliser un nom propre comme Pierre pour renvoyer à un individu. D'un autre côté, là où la réalité nous fournit assez d'information, nous pouvons utiliser un pronom, comme il ou elle. Et dans d'autres cas encore, on peut utiliser un nom sans article, lorsque le rapport avec la réalité est évident. Ainsi, sur un contenant de beurre d'arachides, on lit beurre d'arachides et non pas du beurre d'arachides. L'existence du contenant est suffisant pour déterminer la relation entre le mot et la chose.
Expérience: Trouvez d'autres cas où on trouve un nom sans article et essayez de justifier l'absence de l'article dans ces cas. |
Mais dans beaucoup de cas, il nous faut utiliser un SN plus complexe, qui comprend un niveau de détermination, sous la forme d'articles définis ou indéfinis, d'adjectifs possessifs, démonstratifs, ou autres. Dans ce qui suit, nous commencerons par examiner le fonctionnement de la détermination.
Mais cette distinction entre article défini et article indéfini n'est pas la seule possible en français. Prenez la liste suivante:
la biologie | ?une biologie | de la biologie |
une biologie nouvelle | ||
le ciel | ?un ciel | du ciel |
un ciel bleu | ||
le courage | ?un courage | du courage |
un courage exceptionnel | ||
la timidité | ?une timidité | de la timidité |
une timidité excessive | ||
le lait | ?un lait | du lait |
un lait délicieux | ||
le sucre | ?un sucre | du sucre |
un sucre fin | ||
le chat | un chat | ?du chat |
du chat bouilli | ||
le cheval | un cheval | ?du cheval |
du cheval cuit |
Notez que tandis que l'article défini est possible dans tous les cas, l'article indéfini seul est difficile à interpréter dans certains cas (comme un courage). Par contre, dans ces cas, on peut utiliser l'article partitif ( du/de la). On dit facilement de la timidité. Par contre, dans d'autres cas encore, on utilise facilement l'article indéfini ( un chat), mais l'article partitif est difficile à interpréter, à moins de comprendre le nom autrement. Ainsi, on peut dire du chat pour parler de l'animal cuit, dans un repas, par exemple.
En même temps, si une timidité est bizarre, l'ajout d'un adjectif rend l'emploi de l'article indéfini acceptable: une timidité excessive. Qu'est-ce qui se passe ici?
Dans notre expression de la réalité par le langage, nous faisons une distinction entre les réalités que nous pouvons quantifier, et par conséquent isoler dans le temps et l'espace, et celles qui ne se laissent pas quantifier. Les noms qui désignent des réalités quantifiables s'appellent des noms dénombrables, tandis que ceux qui désignent des réalités non quantifiables s'appellent des noms non dénombrables. Ainsi, de façon générale, chat est quantifiable (p.ex. deux chats, trois chats, etc.), tandis que courage est non quantifiable (p.ex. *deux courages, *trois courages).
Mais, la langue possède aussi une certaine flexibilité. Dans le cas des noms non dénombrables, il est possible d'ajouter un adjectif, ce qui rend possible l'emploi de l'article indéfini. L'adjectif sert à isoler dans la masse totale une sous-classe. Ainsi, dans la masse totale `courage', on peut distinguer différentes sortes de courage, courage exceptionnel, courage héroique, etc..
De même, il est possible de revoir un nom dénombrable comme une masse informe, pour utiliser l'article partitif. On peut dire du chat.
Au-delà de la distinction entre partitif/indéfini, on constate que l'article défini singulier fournit un pont commun, qui spécifie ce qui est connu, sans indiquer s'il est dénombrable ou pas. Et à un niveau même plus détaillé, on peut utiliser un article démonstratif pour insister sur un aspect particulier de la réalité (cf. le livre/ce livre). Et finalement, l'adjectif possessif fournit un mécanisme pour relier deux aspects de la réalité qui se trouvent dans un rapport spécial (p.ex. mon livre, mon pays, mon idée).
De façon générale, on peut dire que le déterminant définit une classe. À l'intérieur de cette classe, d'autres éléments peuvent spécifier un niveau supplémentaire de détail. Prenons les exemples suivants:
Notez que ces éléments qui précèdent le déterminant la sont relativement figés. On peut dire la moitié de, mais non pas ?la moitié qui m'appartient de la population. On peut dire une bonne partie, mais non pas *une excellente partie. Il s'agit donc d'unités. Ces unités qui précèdent le DET, et qui spécifient une sous-classe, on les appelle des prédéterminants (PREDET).
Voyons maintenant d'autres exemples:
Dans ces cas, l'élément qui suit le DET spécifie davantage sa réalité par rapport à la classe définie par le DET. En (2), il s'agit d'un chemin qui n'est pas identique à un autre déjà spécifié, en (3), il s'agit d'un chemin qui se calcule à partir d'un chemin déjà connu, et en (4), il s'agit d'un groupe de chemins qui comprennent un nombre spécifié de membres.
Ces éléments qui suivent le DET, et qui fournissent des détails de la sorte, s'appellent des postdéterminants (POSTDET). Ensemble, les PREDET, les DET et les POSTDET spécifient la détermination dans le SN. Notons aussi que la relation entre les trois n'est pas égale. Le DET est nécessaire dans tous les cas, et contrôle le choix des autres. Ainsi, on peut dire les trois chemins, mais non pas *des trois chemins, car l'article indéfini des laisse la quantification non spécifiée. De même, on ne peut pas dire *un trois chemins, puisque le DET demande un singulier.
En outre, le PREDET fournit une spécification plus génerale que le POSTDET. On peut capter ces faits au moyen d'un arbre. Le niveau commun qui relie le DET et le POSTDET s'appelle GDET, et l'ensemble s'appelle le SDET, comme l'illustre la figure suivante.
SDET / \ / \ / \ PREDET GDET | / \ | / \ | / \ | DET POSTDET | | | tous les autres
Il existe des éléments qui suivent un DET et qui précèdent le nom qui ne sont pas à classer dans les POSTDET. Examinons les cas suivants:
Il existe certaines formes en français qui peuvent fonctionner soit comme POSTDET, soit comme adjectifs. Comparez les deux exemples suivants:
En 2, on modifie livre par la suite très intéressant, qui tourne autour d'un adjectif, et en 3, on trouve un syntagme prépositionnel sur la table. On peut représenter chacun de ces éléments du GN au moyen d'un arbre.
SN / \ / \ / \ DET GN | / \ | / \ | / \ | N SADJ | | / \ | | / \ | | / \ | | ADV ADJ | | | | le livre très intéressant
SN / \ / \ / \ DET GN | / \ | / \ | / \ | N SP | | / \ | | / \ | | / \ | | PREP SN | | | / \ | | | / \ | | | / \ | | | DET N | | | | | le livre sur la table
Exercice: Faites l'arbre syntaxique de chacun des SN suivants: le président du conseil, le chien de l'amie de ma soeur. |
SADJ / \ / \ / \ ADV GADJ | / \ | / \ | / \ | ADJ SP | | / \ | | / \ | | / \ | | PREP SN | | | / \ | | | / \ | | | / \ | | | DET N | | | | | très fier de son travail
SP / \ / \ / \ ADV GP | / \ | / \ | / \ | PREP SN | | / \ | | / \ | | / \ | | ----------- partiellement sous la table
on constate que le verbe peut former le centre d'une variété d'arguments, soit rien (1), soit un SN (2), soit un SP (3), soit plusieurs des combinaisons (4).
Sous forme d'arbres, on trouve, par exemple:
P / \ / \ / \ SN SV | / \ | / \ | / \ | AUX GV | | / \ | | / \ | | / \ | | V SN | | | / \ | | | / \ | | | / \ | | | ------------ je ai vu le livre
ou bien:
P / \ / \ / \ SN SV | / \ | / \ | / \ | AUX GV ------------- | / \ \ | / \ \ | / \ \ | V SN SP | | / \ / \ | | / \ / \ | | / \ / \ | | ------------ ------------ je donne le livre à Pierre
Dans les arbres, le SN ou le SP s'attache au noeud GV, pour montrer la relation étroite entre les deux éléments. Sur le plan formel, on peut capter cette relation par l'absence de déplacement des éléments. On ne peut pas dire *Le livre j'ai vu, *À mes amis je pense.
De même, on peut constater une relation de contrôle sémantique entre le verbe et les arguments. Un verbe comme voir exige, par exemple, un objet visible, mais non pas un bruit *je vois le grincement. Un verbe comme donner suppose l'existence d'une chose qu'on peut donner, et d'un être animé susceptible de recevoir cette chose. Une phrase qui ne suit pas cette tendance est difficile à comprendre: ?Je donne Jean-Pierre à son livre.
Exercice: Faites l'arbre syntaxique pour chacune des phrases suivantes: (1) Tu mettras le livre sur la table. (2) On crée ses ancêtres (3) J'ai parlé de mes problèmes avec mes soeurs. Notez l'ambiguité de la troisième phrase, et faites le lien avec la notion de rôle thématique. |
Or, il est possible d'appliquer le même modèle à la phrase. Plutôt que de commencer l'arbre par P, on peut envisager un arbre qui commence par un SPHRASE, qui se divise en COMP plus GPHRASE. Le GPHRASE pour sa part se divise en PHRASE, qui comprend le SN et le SV, et en un SP de circonstances.
SPHRASE / \ / \ / \ COMP GPHRASE | / \ | / \ | / \ | PHRASE SP | / \ / \ | / \ / \ | / \ / \ | ------------ ----------- que tu travailles aujourd'hui
Exercice: Faites l'arbre syntaxique pour chacune des phrases suivantes, basées sur l'enchâssement: Il a répondu que la porte était fermée, Elle a vu que j'étais là. |
En outre, nous constatons l'existence d'une classe spéciale de verbes matrices qui vont même plus loin dans leurs implications. Voyons les exemples suivants.
La phrase (1) crée une obligation pour la personne qui la prononce. Par contre, la phrase (2) ne crée pas une telle obligation, étant donné que c'est quelqu'un d'autre qui parle de promesse. En d'autres termes, en (1), le fait de prononcer la phrase crée l'obligation. On parle alors de verbes performatifs, et on voit que promettre peut fonctionner comme verbe performatif. Mais pour qu'un verbe performatif fonctionne de façon convenable, il faut que la personne qui l'utilise ait l'autorité nécessaire pour assurer l'action dont il est question. Prenons l'exemple (3). Prononcé par un magistrat dans un contexte juridique, une telle phrase produit un effet, et peut envoyer quelqu'un en prison. Par contre, prononcée par n'importe qui, une telle phrase n'a aucun effet.
SN / \ / \ / \ SDET GN / \ / \ / \ / \ / \ / \ ------------ N SPHRASE | | / \ | | / \ | | / \ | | COMP GPHRASE | | | / \ | | | / \ | | | / \ | | | PHRASE SP | | | / \ / \ | | | / \ / \ | | | / \ / \ | | | SN SV ----------- | | | | / \ | | | | | / \ | | | | | / \ | | | | | ------------ | la fille qui 0 a gagné le prix hier ============= === |-------------|
Dans la deuxième phrase, le SN le prix dans la phrase matrice est en relation avec l'objet direct manquant dans la phrase enchâssée.
SN / \ / \ / \ SDET GN / \ / \ / \ / \ / \ / \ ------------ N SPHRASE | | / \ | | / \ | | / \ | | COMP GPHRASE | | | / \ | | | / \ | | | / \ | | | PHRASE SP | | | / \ / \ | | | / \ / \ | | | / \ / \ | | | SN SV ----------- | | | / \ / \ | | | | / \ / \ | | | | / \ / \ | | | | ---------- AUX SV | | | | | | / \ | | | | | | / \ | | | | | | / \ | | | | | | V SN | | | | | | | / \ | | | | | | | / \ | | | | | | | / \ | | | | | | | ------------ | le prix que la fille a gagné 0 hier ============= === |------------------------------------|
Dans la troisième phrase, le SN la fille est en relation avec un SP à qui qui remplace un SP manquant dans la phrase enchâssée: on a donné le prix (à la fille).
Et dans la dernière phrase, le SN la salle est en relation avec un SP dans laquelle, qui remplace un SP de circonstance (lieu) manquant dans la phrase enchâssée: la fille a reçu le prix (dans la salle).
Exercice: Faites l'arbre syntaxique pour chacune des phrases suivantes: (1) Je prendrai les vacances dont j'ai besoin, Tu chercheras la boîte sur laquelle on a écrit en crayon. |
Mais dans la deuxième phrase, qui signifie la même chose, la phrase enchâssée a été déplacée à la fin de la phrase matrice, et sa place est occupée par le pronom il.
Notons cependant le rôle spécial de ce pronom. Il ne désigne pas un individu, il ne peut pas figurer au pluriel *ils est sans importance qu'ils arrivent en retard et d'autres personnes sont impossibles *tu es sans importance.... Ce pronom impersonnel n'a qu'une seule fonction, de remplir le trou laissé par la phrase enchâssée.
Exercice: Dans les phrases suivantes, identifiez les phrases enchâssées restrictives et appositives: (1) Les soupers que je prépare sont assez délicieux, (2) Mes repas, que je prends à midi, coûtent cher, (3) Le concert, qui m'a beaucoup plu, s'est terminé à deux heures. |
P / | \ / \ / | \ P CONJ P / \ | / \ / \ | / \ / \ | / \ ------------ | ------------ j'ai préparé le souper et j'ai passé l'aspirateur
Or, les conjonctions peuvent relier plusieurs classes d'éléments, y compris les phrases, les syntagmes, et même les mots. La nature précise des combinaisons dépend de la conjonction utilisée. Ainsi, et peut relier des phrases, des syntagmes nominaux, des syntagmes verbaux, des syntagmes adjectivaux et d'autres formes encore, comme le montrent les exemples suivants:
À un autre niveau, on constate qu'une conjonction comme et peut porter une variété de relations sémantiques, selon le contexte. Voyons les exemples suivants:
Exercice: Utilisez le critère de la non-combinaison pour déterminer si quand est une conjonction en français. |
Mais en même temps, on ne peut pas faire une phrase impérative de n'importe quelle sorte de phrase, comme l'illustrent les exemples suivants:
Il y a donc un ensemble de conditions nécessaires pour qu'une transformation s'applique, et un ensemble d'opérations remplies par la transformation. On exprime les conditions sous forme d'analyse structurelle ou AS, et les opérations sous forme de changement structurel, ou CS.
On peut donc représenter la transformation impérative de la façon suivante:
AS: PRON[2p,1pp] V[2p,1pp,prés] CS: 2Dans l'AS, on trouve des symboles qui identifient des éléments qui doivent être présents pour que la transformation s'applique. Il faut ici un pronom à la première personne du pluriel, ou à la deuxième personne, et un verbe au présent.
Dans le CS, on trouve des chiffres plutôt que des symboles. Chaque chiffre représente l'élément correspondant dans l'AS. Ainsi, 2 représente le V[2p, 1pp, prés]. L'absence du 1 s'explique par le fait que c'est justement le premier élément, le pronom, qui tombe.
Notez que le verbe dans une phrase impérative peut être suivi d'une variété d'éléments, allant de zéro ( Dors), à un ( Viens ici), à deux ( Ferme la porte), ou à plusieurs ( Montre le manteau que tu as acheté à ta soeur). Mais en fin de compte, le nombre d'éléments est sans importance. Pour capter des cas pareils, on met un astérisque dans l'AS. L'astérisque sert à indiquer la possibilité d'un nombre d'éléments variable, de zéro à plusieurs, dont les caractéristiques n'ont pas d'importance pour l'analyse. En fait, dans une version plus complète de la transformation impérative, on mettrait aussi un astérique au début, pour marquer la présence d'un SP initial ( Après le dîner, ferme la porte).
AS: * PRON[2p,1pp] V[2p,1pp,prés] * CS: 1 3 4
AS: * V[Personne,Temps] * CS: 1 ne 2 pas 3
AS: * SN[P,N,G] V[P,T] * CS: 1 2 3 PRON[2!P,2!N,2!G] 4
AS: SN V[transitif,T] SN[P,N,G] * CS: 3 être[3!P,3!N,2!T] 2[pp,3!G] par 1 4
Expérience: Démontrez qu'il est possible de combiner une transformation passive avec une transformation déclarative, interrogative ou impérative. |
Par contre, les transformations déclarative, interrogative et impérative ne se combinent pas entre elles. On ne peut pas avoir une phrase à la fois déclarative et interrogative, ou interrogative et impérative. (Notez qu'il s'agit de la forme grammaticale ici, pas du sens. Ainsi, on peut donner un ordre sous forme de question ( Peux-tu fermer la porte?), mais grammaticalement c'est toujours une question.)
La transformation exclamative (qui ajoute une intonation spéciale dans la langue parlée, et un point d'exclamation dans la langue écrite) occupe un statut assez spécial en ce qui concerne les combinaisons. Considérons les exemples suivants:
Si on utilise l'autre ordre, (1) négatif (2) interrogatif, on obtient les résultats suivants.
Exercice: Montrez qu'il faut appliquer la transformation passive avant la transformation négative, et de façon générale qu'il faut appliquer les transformations négative et passive avant les transformations déclarative, interrogative et impérative. |
Blanche-Benveniste, Claire. (1990) Le français parlé: études grammaticales, Paris: Éditions du CNRS.
Bresnan, Joan. (ed.) (1982) The mental representation of grammatical relations. Cambridge: MIT.
Dubois, Jean. (1970) Éléments de linguistique française: syntaxe, Paris, Larousse.
Gary-Prieur, Marie-Noëlle. (1985) De la grammaire à la linguistique: l'étude de la phrase. Paris: A. Colin.
Gazdar, G., Klein, E., Pullum, G., Sag. I. (1985) Generalized Phrase Structure Grammar. Oxford: Blackwell.
Radford, Andrew. (1988) Transformational grammar : a first course, Cambridge: Cambridge University Press.
Dernière modification: 31 décembre 1996. Veuillez signaler des problèmes d'ordre technique à Greg Lessard <lessardg@post.queensu.ca>