Nous avons vu qu'on peut diviser la morphologie en morphologie flexionnelle et morphologie dérivationnelle. Dans le cas de la morphologie dérivationnelle, la base lexicale possède une fonction grammaticale (N, V, ADJ, etc.), les suffixes déterminent la fonction grammaticale à attribuer à la base lexicale, et les préfixes fournissent une spécification sémantique supplémentaire (négation, degré, etc.).
La morphologie flexionnelle peut être vue comme une couche supplémentaire qui s'ajoute à cette base, comme l'illustre l'image suivante:
On constate, entre autres choses, que la flexion ne change pas la partie du discours de l'unité lexicale. Ainsi, un nom peut porter une marque du pluriel (p.ex. chat + s) mais restera toujours un nom. Un verbe à l'imparfait sera toujours un verbe, et ainsi de suite.
En regardant le tableau, on constate que l'unité lexicale peut être précédée d'un déterminant dans le cas des noms (p.ex. le chat), ou de pronoms ou d'auxiliaires dans le cas des verbes (p.ex. elle a dormi). Nous allons examiner ces possibilités indépendamment les unes des autres.
Sur le plan du sens, nous constatons que la langue nous donne deux grandes perspectives sur la réalité. Dans l'une d'entre elles, la réalité est vue un peu à la manière d'une photo: les éléments sont captés dans leurs relations, mais il n'y a pas d'évolution dans le temps. Ainsi, si on dit: le chat, on n'a pas l'idée de quelque chose qui évolue, et même si on dit une promenade, l'activité n'est pas saisie à travers le temps. Comme on peut le voir par ces deux exemples, cette image statique est fournie par le statut nominal.
Par contre, on peut également concevoir un élément de la réalité dans sa situation dans le temps et dans son évolution, un peu à la manière du cinéma. Ainsi, si on dit: elle se promenait, nous avons en tête l'idée d'un phénomène qui prend du temps et qui est situé dans le temps. On peut, par exemple, utiliser un adverbe du temps avec une telle séquence: hier, elle se promenait. Mais un tel adverbe serait étrange dans un contexte comme: hier, le chat.
En français, il existe une série de dimensions flexionnelles, comme l'illustre le tableau suivant:
Catégorie | Exemple |
---|---|
Détermination | le/un/ce/mon |
Nombre | chat/chats |
Genre | chat/chatte; long/longue |
Personne | je, tu, il, etc. |
Cas | je/me |
Temps | chantera/chante |
Aspect | dormais/a dormi |
Mode | elle chante/chante! |
Voix | trouve/a été trouvé |
Les cinq premières sont associées à la perspective 'photo' puisqu'elles n'impliquent pas d'évolution dans le temps, tandis que les quatre dernières sont associées avec une perspective cinématique, qui implique le rôle du temps. Nous allons les passer en revue, en commençant par la détermination.
Un nom tout seul ne fournit pas d'indication de son statut dans la réalité. Ainsi, le mot rue, sans contexte, n'indique pas s'il s'agit d'une rue en particulier ou de n'importe quelle rue. C'est la détermination qui fournit ce genre de spécification. On peut concevoir la détermination comme une sorte de contenant qui précise la conception de quelque chose dans la réalité, et le nom comme un contenu qui est versé dans cette perspective. Pour illustrer cette distinction, commençons par regarder la distinction entre le dénombrable et le non dénombrable. Le dénombrable représente une perspective où on conçoit un phénomène comme susceptible de multiplication. En d'autres termes, on peut le compter. Ainsi, on peut dire: un arbre, deux arbres, trois arbres. Par contre, le non dénombrable représente la situation où un phénomène est conçu comme une masse amorphe qu'on ne peut pas compter. Ainsi, si on dit, du sable, on ne sait pas quelle quantité et on ne peut pas énumérer cette masse.
Le français possède un mécanisme pour signaler l'existence d'une masse amorphe: il s'agit de l'article partitif. Ainsi, si on dit, du sable, de l'eau, du vin, du courage, on désigne une masse amorph qu'on ne peut pas compter. (Ainsi, dire trois courages, ou trois sables prend un contexte spécial pour être compris.
Beaucoup de noms sont utilisés le plus souvent dans l'une ou l'autre des catégories. Les liquides, les gaz, les concepts abstraits sont souvent représentés comme non dénombrables, tandis que les objets sont souvent représentés comme dénombrables. On remarque toutefois que l'utilisation d'un déterminant de l'autre catégorie peut faire glisser un nom du statut de dénombrable au statut de dénombrable, ou vice versa, comme l'illustrent les exemples suivants:
On constate que même si café peut être non dénombrable comme en (1), on peut le compter si on le prend par tasses, comme en (2). Par contre, on peut compter les canards, comme en (3), mais un canard tué et mangé peut être vu comme une masse non dénombrable, comme en (4).
Un autre mécanisme qui permet de passer du statut de non dénombrable au statut de dénombrable consiste à diviser une masse amorphe en catégories. Ainsi, même si l'intelligence est vue comme une masse indistincte, on peut parler d'intelligences multiples pour désigner les différentes dimensions de l'intelligence. De façon analogue, on peut parler des libertés, à côté de la liberté. On peut donc résumer cette triple conception des individus, des classes et des masses indistinctes au moyen d'un tableau:
Au-delà de la distinction entre dénombrable et non dénombrable, les déterminants permettent aussi de préciser le statut d'un phénomène par rapport à l'état de nos connaissances. Comparons, par exemple, les deux exemples suivants:
En (1), la production de la phrase avec l'article indéfini introduit le chat dans le monde des connaissances partagées par le locuteur et le récepteur. On ne savait pas qu'il y avait un chat avant la production de la phrase, et à la fin de la phrase on sait qu'il y a un chat. Par contre, quand on utilise l'article défini comme en (2), on présuppose que le récepteur savait déjà de quel chat il s'agit. La distinction défini/indéfini fournit donc un outil pour spécifier ce qui est connu et ce qui ne l'est pas.
Souvent dans la communication, nous nous trouvons devant un ensemble d'éléments et le défi consiste à cerner un ou plusieurs éléments dans le groupe. En français, l'adjectif démonstratif permet de le faire, comme l'illustrent les exemples suivants:
En (1), on sait qu'il s'agit de plusieurs livres, mais on ne sait pas lesquels, tandis qu'en (2), l'emploi de ces spécifie un ensemble particulier de livres.
Finalement, il est souvent important de spécifier les relations entre les personnes et les choses dans le monde. C'est l'adjectif possessif qui joue ce rôle. Mais il ne faut pas trop simplifier la nature de la relation portée par l'adjectif possessif, comme l'illustrent les exemples suivants:
Même si on a un cas de possession dans le cas de (1), comme l'illustre le fait qu'on peut vendre le livre, la relation est plus complexe en (2) et (3). Je ne peux pas vendre mon frère, et je fais partie du pays. En fait, l'adjectif possessif porte la simple notion d'une relation entre deux entités, et la nature de cette relation dépend des entités en question.
Comme beaucoup de langues, le français possède deux nombres, le singulier et le pluriel. Dans le cas plus simple, le singulier désigne un seul individu et le pluriel plus d'un individu. Ainsi, on a le chat et les chats. Par contre, on peut utiliser la détermination pour désigner un individu ou une classe. La distribution des nombres suit ce système, comme l'illustre le tableau suivant:
Forme | Individu | Classe |
---|---|---|
le | le chat dans le coin | le chat est un mammifère |
les | les chats jouent sous le lit | les chats ont quatre pattes |
Pour commencer, il faut distinguer deux choses. D'un côté il y a le sexe qui est une caractéristique biologique et que le français utilise pour distinguer un certain nombre d'entités sur cette dimension. Ainsi, on dit le lion mais la lionne et c'est le genre qui change entre les deux. De même, les pronoms il et elle peuvent servir à distinguer des individus mâles et femelles. D'un autre côté, il y a ce qu'on appelle le genre grammatical. Ainsi, en français, la mode signifie le domaine des vêtements préférés tandis que le mode signifie la façon de faire quelque chose, comme dans le contexte le mode d'emploi.
Une des fonctions principales du genre consiste à assurer la cohésion d'un texte en signalant des relations de coréférence, comme l'illustre le texte suivant tiré de L'Éducation sentimentale de Flaubert:
les brumes errantes se fondirent, le soleil parut, la colline qui suivait à droite le cours de la Seine peu à peu s'abaissa, et il en surgit une autre, plus proche, sur la rive opposée. Des arbres la couronnaient parmi des maisons basses couvertes de toits à l'italienne. Elles avaient des jardins en pente que divisaient des murs neufs, des grilles de fer, des gazons, des serres chaudes, et des vases de géraniums, espacés régulièrement sur des terrasses où l'on pouvait s'accouder.
C'est le genre féminin qui permet d'établir le lien entre colline et une autre, entre une autre et la, et entre maisons et elles.
Mais puisqu'il existe un genre associé à tous les noms, il se pose la question de la prévisibilité de ce genre. Dans un monde très complexe, le choix du genre serait absolument aléatoire. Heureusement, ce n'est pas le cas. Il existe une série de tendances plus ou moins fortes qui permettent de prévoir le genre d'un nom. Nous en reproduisons les plus importantes ici, en ordre de prévisibilité décroissante:
La morphologie fournit un outil pour distinguer les différents acteurs dans une situation de communication. Ainsi, la personne qui parle est désigné par je, l'interlocuteur par tu, et les autres éléments par il ou elle. Des combinaisons sont également possibles. Ainsi, je + tu = nous.
On constate aussi qu'il existe en français un pronom (on) qui peut remplacer tous les autres. Ainsi, la phrase On n'est pas de bonne humeur peut s'appliquer au locuteur, à l'interlocuteur, ou à d'autres participants humains ou animés.